Ce 29 aout 2024, la Cour Suprême a rendu la décision de rejet de la requête de AJE-Action pour la Justice Environnementale sollicitant l’annulation du décret 2023-813 du 05 avril 2023 approuvant et rendant exécutoire le Plan d’Urbanisme de Détails (PUD) de la bande Yeumbeul Nord, Malika, Tivaouane Peulh et déclassant une partie de la bande des filaos.
Décision surprenante ! Si l’on sait tous les débats auxquels cette problématique a donné lieu et la décision inédite des pouvoirs publics de suspendre tous travaux sur le littoral. L’acuité de la question avait même occasionné la mise en instruction de l’affaire qui a amené la Cour à se transporter sur les lieux aux fins de constater l’état actuel de la bande des filaos
Introduite en 2023, cette requête de AJE contestait la régularité dudit décret en ce que l’adoption du PUD n’avait pas fait l’objet d’une Evaluation environnementale conformément à l’article L48 du code de l’environnement de 2001 qui disposait « Tout projet de développement ou activité susceptible de porter atteinte à l’environnement, de même que les politiques, les plans, les programmes, les études régionales et sectorielles, devront faire l’objet d’une évaluation environnementale ». AJE relevait aussi avec force, que cette décision de déclassement s’inscrivait en faux contre les engagements internationaux de l’Etat notamment ceux contenus dans les accords de Paris sur le changement climatique et dans la Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification.
A cette sollicitation la Cour Suprême a répondu par la négative. Elle rejette les moyens en soutenant que ledit PUD a fait l’objet d’une Evaluation Environnementale Stratégique (EES) depuis 2016 et approuvée par arrêté en 2018. Une telle posture est à maints égards surprenante.
Ni AJE, ni les communautés riveraines n’ont connaissance de cette EES. De plus, en aucun moment de la procédure un tel document n’a été évoqué ni par l’Agent Judiciaire de l’Etat, ni par les autorités en charge de la question. D’ailleurs, même le juge vient apparemment d’en être informé puisque dans la décision de 2022 et répondant à la même question, il avait considéré, nonobstant les indications claires de l’article L48 précité, que « la régularité d’un décret d’approbation d’un PUD, n’est pas subordonnée à la réalisation d’une EES » (cf. CS, 27/10/2022, AJE C/ Etat du Sénégal affaire de la bande des Filaos I). Pourtant au moment de cette décision ladite étude apparemment existait déjà.
L’étonnement et la surprise atteignent leur paroxysme à la lecture de la conception que le juge sénégalais a eu des accords de Paris et de la Convention précitée. Sur la conformité du décret vis-à-vis de ces textes, le juge nous a semblé montrer ses limites sur la matière environnementale en soutenant que ces accords « visent à fournir aux pays en développement des ressources financières pour atténuer les changements climatiques, renforcer la résilience, accroitre les capacités d’adaptation aux effets produits par ces changements, lutter contre la sécheresse et la désertification, tout en contribuant au développement durable » (P.7 de la décision). Il semble donc que pour lui, le point nodal de ces accords est le transfert de fonds aux pays en développement en vue de permettre de se conformer aux exigences de développement durable. Or, ces accords prescrivent de véritables obligations positives sur tous les Etats qu’ils soient développés ou pas, en tenant bien sûr compte du principe de responsabilités communes mais différentiées (voir article 5 de l’accord de Paris). De plus, il conclut que la conformité du décret vis-à-vis de ces accords est établi en qu’il est prévu l’aménagement d’espaces verts sur les terres déclassées. Drôle de position ! Le juge sénégalais vient de créer un précédent dangereux pour les espaces de conservation. Il ouvre une brèche qui risque de faciliter le déclassement desdits espaces dans l’avenir. D’autres questions toutes aussi substantielles ont été soulevées, mais les réponses concourent toutes à démontrer, si besoin en était, que nos juges sont assez limités en matière environnementale.
En définitive, « Déforestez, déboisez, mais n’oubliez surtout pas d’aménager un petit espace vert », voilà ce que nous retenons de l’arrêt de la Cour Suprême du 29 aout 2024 sur la bande des filaos.
Historique certes, mais moins pour sa portée jurisprudentielle que son contenu révélateur du faible niveau de sensibilité écologique des juges sénégalais.
Mamadou lamine DIAGNE
Directeur exécutif AJE
Juriste environnementaliste

Action pour la Justice Environnementale (AJE) est une association nationale de défense des intérêts écologiques des communautés face aux dommages environnementaux. L’organisation intervient à travers 3 axes programmatiques :
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Sa vision est de contribuer à la construction d’une société sénégalaise où chaque individu, quelle que soit sa situation et sa vulnérabilité, sociale, environnementale et économique, ait le droit de vivre dans un environnement sain et préservé pour les générations futures. AJE s’engage à promouvoir la justice environnementale en renforçant la compréhension des enjeux environnementaux, en plaidant pour des politiques durables et en accompagnant les communautés affectées par les nuisances environnementales.
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